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21 février 2010

L’anthologie de la famine"laz" et l’impact de l’émigration à partir du roman amazigh Ijjigen n tidi


L’anthologie de la famine"laz" et l’impact de l’émigration à partir du roman amazigh Ijjigen n tidi



Écrit par Lahoucine Bouyaakoubi -Anir-

L‘écrivain Mohammed Akunad vient de publier son deuxième roman en amazigh «Ijjigen n tidi» (Les fleurs de la sueur). Dans un style à la fois épuré et proche du quotidien (l’ère tachelhit), l’auteur fait preuve d’une créativité et d’une imagination débordantes. Il consolide ainsi les fondements d’une littérature romanesque contemporaine écrite en amazigh marocain . Si son premier roman «Tawargit d imik» (Un rêve et un peu plus), avait traité avec beaucoup d’originalité la question de la hiérarchie des langues au Maroc et sa relation avec le champ religieux à partir de la position « étrange » d’un clerc amazigh qui avait décidé de prêcher dans sa langue maternelle, ce second ouvrage embrasse d’autres thématiques sociales, économiques et politiques dont souffre l’être humain dans un monde rural des plus âpres. Les événements de ce roman se déroulent dans les années soixante et soixante-dix marquées par les premières vagues migratoires vers l’Europe dans un village amazigh nommé Akuban situé au fin fond du Souss, région du Maroc que la terminologie coloniale qualifiait d’« inutile ». On n’est pas sans savoir que les revenus que ces émigrés enverront au pays insuffleront des changements sociaux et économiques d’une grande ampleur dans la région. Malgré la description sommaire que donne l’auteur du lieu où se trame l’action, quelques passages nous aident à esquisser le cadre général. Il s’agit d’un village extrêmement pauvre, marginalisé et isolé du monde dans lequel prévalent des rapports d’exploitation des plus bruts qui enferment les habitants dans une relation de domination forgée par le statut social de chacun. Mais au-delà de la rudesse des conditions de vie, il n’en reste pas moins que tous ces villageois restent profondément attachés aux valeurs de dignité, de courage et cultivent un sens de l’honneur le plus acéré. Dès lors, le roman se présente sous la forme d’un retour en arrière. Le personnage principal Askwti se voit affublé du nouveau nom de Taryyalt après son retour de France où il a passé la plus grande partie de sa vie. Il se rappelle tous les grands moments qui ont jalonné son parcours. Il se remémore son village, sa famille, ses souffrances, ses aventures et sa vision des choses. Le départ en France lui a permis d’évoluer socialement tout comme ont pu le faire ceux qui ont suivi le même parcours. Le pauvre berger qu’il était – exploité par Bihi n tdwwart, son maître – est devenu l’une des personnalités les plus riches du village. Son histoire personnelle va alors le suivre durant toute sa vie. Autre personnage important, Mougha est l’entrepreneur français responsable de l’envoi en France de milliers de Marocains venus travailler le plus souvent dans les mines. Ces derniers qui gardent des souvenirs impérissables de cette période se remémorent tout particulièrement les critères qu’il mettait en œuvre pour trier les candidats à l’émigration.

Mougha regarde les épaules, vérifie le dos, écrase tes muscles et te demande d’ouvrir la bouche pour voir tes dents et te dit. Montre ta langue, inspire, tousse ...!!! Il examine tout. Si tu n’as pas de chance, il t’exclue d’un simple geste. Bref, le test de Mougha est une souffrance : "Je veux des braves hommes et non pas des jeunes mariés" .

[ Da yzerra Mugha tighallin, taghwmiwin, tadawt, da yttams ighariwn, timzadin, irzem-ak imi, izr-nn uxsan, inna-yak zzl-d ils, sggunfs, ttusu... da nn-ittagwa ku mani, igh k-ur-yari Rebbi, da ismussu mqqar d adad!
urTammara ad iga Mugha ! Wanna igan amctil tt-id-dars-yiwi ! "Irgazn ad righ d-tislatin" iny-asn Mugha »] (page 6, ligne 9).

La famine comme cauchemar permanent
Certes ce deuxième roman de Mohammed Akunad évoque plusieurs thèmes liés essentiellement à la vie rurale au Maroc. Mais la famine (« Laz » en amazigh) constitue l’élément central autour duquel se trament d’autres sujets plus complexes. Ce monème ainsi que ses synonymes et ses différentes dérives (laz, aghwni, imlluzza, adis, adan ...) sont employés à eux seuls près d’une centaine de fois tout au long du roman. Ce « laz » ne renvoie pas seulement à la pauvreté et au manque de nourriture mais marque plutôt un manque à tous les niveaux. Il constitue en ce sens un prisme qui produit une vision du monde sous lequel la justification d’un certain comportement peut conduire jusqu’à la perte de la dignité de l’être humain.
« Celui qui a faim ne peut pas se sentir comme un être humain »
[« Igh ur ta tjjawnt, ur ad tsyafat is tgit afgan » (page 11, ligne 21)]
concède le romancier. La situation du Maroc post-colonial se trouve ainsi résumée notamment dans le monde rural. Après des années de résistance contre l’occupation française, ces régions, généralement amazighophones, se trouvent délaissées, marginalisées et privées de tout programme de développement économique.
Si l’arrivée de Mougha va permettre la survie d’une population laissée à l’abandon, elle provoque également un choc. Les réactions que ce dernier suscite auprès des villageois reflètent ce paradoxe. Asil, le sage du village qui est l’un des hommes qui ont refusé d’aller s’inscrire pour émigrer en France se demande pour sa part comment il se fait qu’on ait pu chasser les colonisateurs par les armes pour accepter finalement que l’on devienne des travailleurs à la merci de leurs fils.

« C’est honteux pour nous d’aller supplier les fils des Français que nos parents ont chassé avec les armes. Aujourd’hui, ils sont revenus pour nous mépriser et faire de nous leurs esclaves ».

[« Iga-yagh assergm ad agh-staln tarwa n irumiyn zud tarwa n waghad gh tmizar-ngh, ssufghn-tn id baba-ngh s ucnyar zg tmazirt, urrin-d tarwa-nsn, skrn gingh aylli ran.
Gan-agh d ismgan d twiwin, ar asn-nssudum ibaciln »] (page 7, ligne 9).

Mais ce sentiment ne pèse pas lourd devant la précarité et la pauvreté. Qui plus est, la volonté de vaincre « laz » impose une autre logique et une autre vision des choses. Quelques années après le départ des Français, les slogans et les promesses d’une vie meilleure qui avaient accompagné la lutte pour l’indépendance ne relevaient finalement que du rêve qui lui-même s’est évaporé. La dure réalité a contraint les Marocains à chercher d’autres moyens pour subvenir à leurs besoins les plus élémentaires. L’émigration en France est alors apparue comme la solution incontournable. Si les uns y étaient opposés par fidélité à la mémoire des ancêtres, les autres y étaient favorables pour éradiquer « laz » dont l’effet principal était de faire tout perdre à la personne jusqu’au fond de son humanité. Askwti était lui-même prisonnier de ces contraintes. Sa candidature au départ ne fut pas bloquée par Asil. Il sera retenu par Mougha.

« Dieu m’a envoyé Mougha pour me sauver. Moi je le considère comme mon grand frère, je dirais même plus, c’est un saint. Celui qui t’a aidé à changer ton statut d’un pauvre berger et méprisé en un riche du village mérite d’être nommé saint ».

[« Iga mougha d umjjenjem-inw, iga-t-id g waga ur inqqelen aman, nekk da yas-ttinigh (dadda Mougha!) Agwrram [...] Agwrram a yga, mqqar iga Arumi !, makh wanna izdarn ad k-id-yall zg ddu tmsilin n imzlad ar nnig ibrgazn, ur igi Agwrram? »] (page 5, ligne 18).

En racontant tous ces événements comme autant de souvenirs encore tenaces, l’auteur nous offre une relecture du parcours de l’émigré. S’il avoue que Mougha lui a bel et bien donné l’occasion de s’enrichir, il reconnaît dans le même temps que ce n’est en aucun cas par amour que ce dernier est venu au Maroc le chercher. En poursuivant son intérêt personnel, le Français servait les intérêts de son pays qui, en manque de main d’œuvre, n’avait trouvé que ses anciens colonisés et tout particulièrement les pauvres du Maroc pour travailler dans des conditions misérables et accomplir ainsi les tâches les plus pénibles que les Français eux-mêmes refusaient. S’ensuit alors une description par l’auteur des conditions de vie insoutenables qu’enduraient les Marocains à l’étranger durant toutes ces années. Ils passent leurs journées sous terre comme des rats et dorment le soir dans de petites pièces dans la promiscuité la plus totale. En aucun cas, il ne doivent être considérés comme des touristes venus visiter la France
, dira-il. Au contraire, le travail sous terre les prive du soleil. Ceci leur fait même relativiser la misère du village. Dès lors, il ne reste qu’à ces émigrés que la beauté du pays dont l’image du soleil, le souvenir des vastes plaines et des montagnes reviennent instamment avec force. Mais « laz », ce cauchemar permanent, réveille régulièrement Askwti jusqu’à venir le convaincre que si l’exploitation existe partout… elle est en France mieux payée. « Laz » ne contraint pas seulement ces hommes à accepter des métiers misérables et être méprisés. La famine vient miner les sentiments les plus profonds de l’être humain. Le pauvre n’a pas le droit de mener sa vie comme il le voudrait, de choisir sa bien aimée, par exemple. Sa pauvreté oriente ses sentiments comme l’atteste la relation qu’Askwti entretient avec Ibba n izikitn, une femme esclave noire, l’être le plus dominé du village d’Akuban. Séparée de force de son mari au moment où l’esclavage était encore d’usage au sein de la société marocaine, elle s’est retrouvée seule sans compagnon. Méprisée par toute la société, cette femme a fait de son corps une « propriété publique ». Elle est devenue la femme de tout le monde y compris d’Askwti qui a trouvé en elle celle qui l’aidera à lui faire oublier la famine. Elle partage alors avec les autres la pauvreté, la misère, la précarité tout en cumulant le défaut d’être au service de ces dominés. L’auteur nous dit à cet égard :

« Elle est doublement dominée. Elle partage avec nous la souffrance mais elle cumule à son dépens le fait d’être la serveuse des dominés ».

[« Trza xf snat twal, tdra dingh tirzi-ngh, tsmun-agh akw trfafant, tzli sis trzi-ns nttat llig tga tawayya n imrzan »].


Cependant, si cette femme a fait par la force des choses de son corps un « bien commun », elle a su préserver son humanité. Vers la fin de sa vie, elle s’est rebellée contre tout le monde, contre elle-même tout d’abord, puis contre sa famille et contre le pouvoir religieux. Le taleb cherchait en effet à la contenir dans un statut d’esclave, allant jusqu’à qualifier sa réaction contre ses maîtres d’anormal. Il la soupçonnait même d’être habitée par les mauvais esprits. Cette révolte lui permettra d’acquérir un tout autre statut comme le prouvent les obsèques qu’organisera pour elle le village, cérémonie qui n’aura rien à envier à celles habituellement destinées aux notables. L’hommage posthume qui lui était rendu traduisait ainsi tout le respect d’une société à son égard.

Le premier mariage d’Askwti avec sa cousine organisé par sa mère qui faisait fi de tout sentiment d’amour entre les deux promis explique également par la force de « laz » d’enfermer les émotions dans des stratégies individuelles de réussite les plus désespérées. Tenant compte de la situation difficile de son fils, sa mère lui impose comme épouse sa cousine, fille d’un riche villageois, dans le seul but de lui garantir un avenir meilleur. Cette alliance représente alors pour lui tout ce qu’il exècre comme passé douloureux fait de souffrance, d’exploitation et de misère. Elle vient briser le désir d’une nouvelle vie qu’il avait pourtant commencé à ébaucher en France lorsqu’il avait rencontré Tafrirt tarumit, cette française qui incarnait pour lui l’espoir d’une deuxième naissance, le désir de la richesse et d’une vie heureuse. Certes dans des conditions difficiles, « laz » peut conduire l’être humain à s’incliner, à renier les valeurs nobles des ancêtres. Mais Askwti parvient à se saisir de tout ce que sa mère, Tufella n Id barud, lui a transmis. Elle reste pour lui le symbole de la dignité, de la fierté et de l’orgueil, des valeurs qu’elle a réussi à lui inculquer alors même qu’elle était veuve et qu’elle jouait comme tant d’autres femmes dans sa situation à la fois le rôle de la mère et du père.

L’émigration, l’argent, le pouvoir et le changement de mentalités
Le roman décrit avec beaucoup d’imagination les effets de l’émigration sur les sociétés d’origine. Le retour d’un émigré constitue une vengeance contre soi-même, une affirmation et une volonté de s’imposer. En ce sens, Askwti considère son départ en France comme sa deuxième naissance. C’est une séparation entre deux vies, deux mondes et deux mentalités. Ce désir s’accompagne d’une volonté d’occulter la première partie malheureuse comme pour mieux mettre en valeur sa deuxième naissance, celle de l’Europe et de la richesse. Mais ce désir se heurte à la dure réalité de sa personne car il fait lui-même partie de cette histoire dont on ne saurait l’extraire de force.

Dès son retour, Taryyalt a néanmoins cherché à s’imposer dans son village. Sa première action symbolique fut l’achat de la maison d’Aghnnaj, l’ancien caïd du village au temps de la colonisation. Symbole d’autorité et de tyrannie, cette grande maison dépasse toutes les habitations du village. Ce phénomène est bien connu dans les régions à forte émigration. Le fait de posséder une grande maison revient à s’affirmer comme notable dans la société locale. Elle est le signe de richesse et de pouvoir, peu importe qu’elle soit ou non habitée. Sa possession constitue une valeur en soi. Fier de son statut récemment acquis, Taryyalt donne par ailleurs son avis sur tous les sujets qui concernent le village. Il prend la parole partout, y compris à la mosquée le lieu privilégié des notables du village.

« Je jure que je m’imposerai à tous les niveaux, affirme-t-il, et j’interviendrais sur tous
les sujets »
« Ggulegh ur asn-ttajjagh tardast n wakal ur disn gis mmedfasegh »
(p. 72).

Il ose poser des questions au clerc et même contredire ses propos. Mais tout ceci ne va pas sans susciter des réactions. L’assistance n’hésite pas à lui renvoyer son mépris le plus grand. Plutôt que débattre, elle lui rappelle son origine de « berger ignorant ». Dès lors, Taryyalt doit admettre qu’il ne s’entend plus avec les gens du village. Déjà, depuis qu’il s’en était allé en Europe, il avait acquis une autre vision des choses. La seule personne avec laquelle il partageait les idées était Amanuz qui émigrera bien avant lui en France pour finir ses études. Imprégné des idées de démocratie et de changement, Amanuz était devenu dès son retour au village un opposant qui cherchait à bouleverser les choses. Askwti avait compris qu’il était nécessaire de connaître
la France pour comprendre les messages que ce dernier véhiculait. Malgré des différences de position, Askwti partage avec Amanuz, la même expérience du contact avec les Français. Amanuz payera cher le prix de son engagement pour encadrer les gens d’Akuban afin d’améliorer leur situation. Ces derniers durent affronter une vague de répression et d’arrestation à l’époque même où Askwti était en France. Amanuz avait alors disparu et certains villageois que le Makhzen accusait de vouloir faire la révolution furent recherchés.

Cette attitude de la société envers Askwti est en soi significative. C’est effet son propre entourage qui a remplacé son premier pseudonyme « Askwti » qui référait à son statut de pauvre berger par celui de « Tarryalt » qui convenait mieux à son nouveau statut de riche. Askwti se trouve en fait partagé entre les idées qui ont cours dans son village et son expérience vécue en France. Les années passées à l’étranger lui ont permis de remettre en cause une série de représentations parmi lesquelles celle qui considère les Français ou les Européens (Irumiyn) comme des infidèles. L’Autre, en l’occurrence le chrétien, ne peut jamais faire du bien selon les gens d’Akuban. Askwti est alors ballotté entre deux façons de voir le monde. D’un côté, il est conscient de manquer de courage qui le prive de dire du bien de Mougha, ce « Français, chrétien et infidèle » qui lui a pourtant permis d’être riche. Il n’est en ce sens pas différent des gens d’Akuban qui ne reconnaîtraient jamais un quelconque mérite aux « chrétiens ». D’un autre côté, il évalue la souffrance subie en France comme étant à mille lieues d’égaler celle endurée chez lui. De ce point de vue, son passage en France lui permet de remettre en question toute une série de préjugés même si dans le même temps il n’a jamais oublié avoir été exploité par Bihi n tdwwart. Il n’en reste pas moins qu’il voit dans ce patron français et chrétien, un homme honnête et juste qui paye régulièrement et sans retard ses ouvriers oubliant que ce dernier ne l’a pas payé à plusieurs reprises.

Mais le contact avec l’autre, quelque soit la proximité de ses propres idées avec les siennes, ne peut jamais annihiler les aspects les plus profonds de la culture d’origine. La présence de Immi Merru, la sainte du village, illustre parfaitement cette dimension. Depuis son plus jeune âge Askwti fut tout d’abord élevé par sa mère puis par l’amie intime de sa mère, Lalla Bbus, dans le respect le plus profond de ce que représentait pour elle la sainte. Pour les habitants de toute la région, tout ce qui arrivait, de bien ou de mal, dans la vie des gens d’Akuban se produisait grâce ou à cause de la volonté suprême d’Immi Merru. Par exemple, le retour de France avec fortune d’Askwti ne pouvait être qu’une récompense faite par Immi Merru à sa mère qui lui manifestait à chaque instant son respect le plus profond et son amour le plus sincère. La réalité de son existence n’a en l’occurrence pas beaucoup d’importance. Les mythes produits autour d’elle suffisent par eux-mêmes à comprendre la place privilégiée qu’occupe l’image de la sainte dans la vie de tous les habitants du village. Le romancier nous dit à ce propos :

« Immi Merru est l’une des habitants d’Akuban les plus célèbres. En
écoutant les gens parler d’elle, tu vas croire qu’elle est toujours en vie.
En réalité, sa présence est plus forte que celle des gens vivants ».
ur[« Tga Immi Merru yat gh tmzdaghin tikhatarin n tmurt n Ukuban,
ad tghalt is tmmut igh ar tsflidt i middn ar tt-addrn.
S tidt, tddr uggwar
mad ddrn nttni »]
(p. 25, ligne 10)

Askwti s’interrogeait souvent sur la réalité des pouvoirs supranaturels qu’on prête à Immi Merru ce qui avait le don de provoquer la colère de sa mère. De retour de France, il apprit que des inconnus avaient osé profaner la tombe de la sainte pour y dérober le trésor qui y était enfoui. Immi Merru n’avait pu se défendre. « Où sont ses pouvoirs magiques ? » s’était alors demandé Askwti. La réponse apportée par Lalla Bbus qui considérait qu’Immi Merru changeait d’identité selon les situations lui fit reprendre confiance. Cette fois ci, elle s’est montrée aux voleurs comme une outre. Choqué par cet événement, Tarryalt décida alors de reconstruire la tombe de la sainte du village de façon à ce qu’elle puisse être vue de tous.

Des événements qui jalonnent de la sorte le roman pourraient être racontés à l’envie tant le plaisir qu’ils procurent à la lecture de tout un chacun est grand. Mais au-delà de la satisfaction qu’ont cherche dans la lecture d’un chef-d’œuvre de littérature, il faut bien voir que «Ijjigen n tidi» se présente à nous comme un roman à caractère socio-historique. Il retrace dans toute sa complexité humaine l’histoire sociale, économique et politique de la région du Souss depuis l’indépendance du Maroc jusqu’à nos jours. Les toponymes et les noms réels des personnes nous donnent des repères historiques qui nous aident à mieux comprendre le roman d’autant plus qu’ils résonnent dans notre quotidien aujourd’hui. Par exemple, Aghnnaj qui est un nom connu dans la région est encore porté aujourd’hui par des familles issues notamment de la région d’Ihahan (entre Agadir et Essaouira). Ce nom qui réfère à un caïd notoire du temps de la colonisation nous conduit aux temps du protectorat. En ce sens, l’émergence de Mougha rappelle une période importante de l’histoire de la région. Symbole de la pauvreté et de la précarité absolue, son arrivée au Maroc est emblématique de la colonisation qui nourrira les aspirations puis les déceptions de tout un peuple à l’indépendance. Plus proche de nous dans le temps, Amanuz symbolise pour sa part les années du plomb qui rappellent combien la lutte pour la liberté est un combat de tous les jours. Pour ne prendre qu’un exemple, la famille Elmanouzi très connue dans la région a vu l’un de ses membres opposant politique, disparaître durant les années noires au Maroc. Encore aujourd’hui, elle demande que toute la vérité soit faite sur la disparition de ce fils.

A partir du parcours d’un émigré amazigh de la région qui traverse plusieurs périodes et se servant pour se faire de trois personnages qui ont existé (Aghnnaj, Mougha, Amanuz), Mohammed Akunad a le mérite de nous offrir un roman qui réécrit l’histoire du Souss avec un talent littéraire qu’il ne lui appartient plus de prouver.

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1 A signaler que d’autres écrivains comme M.Bouzaggou (Tichri gh tama n tasarrawt en 2001 et Jar u jar en 2004), E.Aboulkassem. Afulay ( Imula n tmktit en 2002), A..Haddachi ( Memmis n ifessi d wawal en 2002) ou Ali Ikken (Asekkif n inzaden en 2004) ont déjà publié des romans en amazigh.
2 Voir Afulay « Etrange position d’un clerc. A partir du roman en amazigh de Mohammed Akunad », in http://www.mondeberbere.com.
3 Askwti, le premier pseudo donné au personnage principal de ce roman descris essentielement sa petite taille. Askwti, en amazighe, fait référence à tous ce qui est court. En revancge, tarryalt, est l'amazighisation, avec la prifixation et la sufixation d'un "t", du nom réal, le nom d'une monnaie. Il fait alusion à la richesse.
4 Ce personnage fait référence à Félix Mura, un entrepreneur français qui a réellement existé. Après l’indépendance, il s’était rendu au Maroc pour chercher de la main d’œuvre. Il recrutait essentiellement dans les régions amazighophones, le Souss et le Moyen Atlas. Dans la mémoire populaire marocaine, Mura est resté un des repères historiques de toute cette période ; on dit « Azmz n Mugha» (l’époque de Mugha). De même, plusieurs chants amazighs ont été produits pour traiter cette époque (Voir les travaux de Aziz Kich, chercheur à l’Ircam).
5 Laz, avec un «z» emphatique siginifie la famine. On dit: « Ingha-yi laz » : « J’ai faim ».
6 Le clerc du village, homme religieux qui s’occupe des taches religieuses (la prière, les obsèques...) du village. Il assure aussi l’enseignement du Coran aux petits enfants avant.

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