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13 juillet 2009

ixfawen d isasan: Essai pour la production des proses de réflexion en amazighe

Ixfawen d isasan: Essai pour la production des proses de réflexion en amazighe

Depuis le réveil identitaire amazigh à la fin des années 1960, le souci majeur chez les précurseurs de la mouvance amazighe était de transcrire la langue amazighe. Certes, la variante tachelhit (Sud du Maroc) avait déja cette tradition depuis le VIXe. Mais elle était très élitiste et liée essentiellement au domaine religieux [1]. De ce fait, l'oralité demeure l'aspect dominant de cette culture. A partir de 1967, avec la publication de "Amanar" par Hmad Amzal, l'écris en amazighe a fixé comme objectif la préservation de la littérature amazighe orale menacée par la disparition comme les chants traditionnels, les contes ou les légendes. A partir de 1991, notamment après la publication de

la Charte

d'Agadir [2] suivie d'un boom associatif, les écrivains, activistes du mouvement amazigh comme A. S. Azayku ou H. Idbelkkassem initient la production d'une poésie moderne qui fait rupture avec la métrique de la poésie traditionnelle. Dans cette optique, on assiste aussi à l'émergence d'une écriture romanesque (Afulay-Akunad-Ikken...) et à la traduction en amazighe (Adgharni-Jouhadi-Akunad). De même des lexiques spéciaux dans le domaine juridique ou éducatif ont vu le jour et reflètent cette volonté profonde de retravailler la langue amazighe et lui donner les moyens pour porter des discours autres que ceux véhiculés par la tradition orale.

   Mohamed Oussous, l'auteur de Ikfawen ... d isasan,(Têtes et toile d'araignée) fait parti de cette génération de jeune écrivains en amazighe. A coté de ses qualités comme poète, il est membre associatif, enseignant, chercheur [3] , fan de la lecture et aussi un bon écrivain en amazighe. Originaire d'Ihahan, à proximité d'Essaouira, il a fait ses études universitaires à Agadir et fut l'un des premiers qui, à la fin des années 1980, ont posé la question amazighe au sein de l'université Ibnu Zohr. Nommé Munatas [4] , il était, en 1991, parmi le noyau des étudiants qui ont opté pour la création de la section de l'association Tamaynut à Agadir.

Avant d'initier l'écris en amazighe, il a d'abord épuisé, comme tous ses amis de l'époque au sein de Tamaynut, des premiers ouvrages en amazighe. Ali Sidki Azayku s'affiche au premier plan et Timitar (signes), son premier recueil de poèmes apparaît comme repère et référence pour toute une génération. M.Oussous ne cache pas l'impacte majeur de cet ouvrage. Il lui a ouvert les horizons pour embrasser d'autres productions écrites en amazighe. En hommage à Azayku, Oussous lui a consacré, dans son ouvrage Ixfawen...d isasan, un bon article  intitulé "Azayku..igider sar ur immuten!(Azayku.. L'aigle éternel).

   De part sa culture générale, M.Oussous est l'un des rares écrivains qui ont une bonne connaissance de plusieurs variantes amazighes. Cette compétence linguistique lui offre la possibilité d'écrire en tachelhit, sa variante natale, toute en essayant d'élargir le lexique utilisé pour emprunter d'autres termes et expressions amazighes des autres variantes. On peut dire que l'écris en amazighe chez M.Oussous n'est pas seulement un moyen pour rendre visible un terme orale en le liant avec des phonèmes. Il est plus complexe et sur deux niveaux. Il exige à la fois une réflexion scientifique ou philosophique approfondie en amazighe et, par conséquent, nécessite un travail linguistique profond pour reconstruire cette langue et la rendre apte à porter d'autres discours restés jusqu'alors "étrangers" pour elle.    

   Ixfawen...d isasan, le premier ouvrage de M.Oussous a eu le prix de la littérature de l'Institut royale de la culture amazighe (IRCAM) de 2006. Il présente clairement ces deux soucis. Au niveau linguistique, le choix des caractères latins exprime la volonté de l'auteur d'insérer l'amazighe dans l'universalisme. De même, le respect des règles de grammaire et de conjugaison amazighes reflète la connaissance de l'auteur de dernières réflexions au niveau de la transcription latine. Sur le plan lexical, le pan-amazigh de l'auteur est flagrant. Par cela, il s'intègre dans le processus de la normalisation de l'amazighe dans le but de sa standardisation. A cette égard, tachelhit, constitue sa base de départ, mais elle ne l'empêche pas de s'ouvrire sur d'autres variantes amazighes. Des termes comme "agdud"(kabyle, p38), ma temos? Ou sesten, (touareg, p63,p52), axatar (Moyen Atlas,p63), "atas"(Rifain) sont des exemples de ce pan-amazigh. L'auteur n'hésite pas aussi d'entrer dans l'aventure du nèologisme en amazighe. Dans ce sens, le terme "anekk-ammas,p80" pour dire l'égocentrisme est de sa propre invention.

  Par ce grand effort linguistique M.Oussous tend à permettre à l'amazighe l'occasion de porter un discours que l'auteur, lui même, n'arrive pas à qualifier. Pour lui, son ouvrage n'est ni un livre de contes ni un ouvrage philosophique, il est tous simplement le fruit d'un effort au niveau de la réflexion exprimée par des termes en amazighe p11.

  Ixfawen ...d isasan se présente comme un ouvrage de réflexion philosophique. Il constitue un tournant au niveau de l'écris en amazighe marocain [5] . Par sa culture générale, son auteur a réussi à nous présenter des textes bien écrits en amazighe et abordent des thèmes différents liée à l'existence, à la démocratie, à la liberté, l'amazighité, une vision critique à la pensée "arabo-musulmane"...
  Ces réflexions sont illustrées par des citations de grands philosophes et écrivains comme Newton, George Orwell, Socrate ou Aristote. L'ouvrage se compose d'une introduction de Mohammed Akunad et 35 textes et à la fin un poème. Il est édité par le comité littéraire de l'organisation amazighe Tamaynut.

[1] Il existe aussi quelques manuscrits en tachelhit portant sur la description du pays et de la vie d'Ichelhin.(Berbères du Sud du Maroc).
[2]

La Charte

d'Agadir est une plate-forme signée par 5 associations amazighes en 1991. Elle contient les revendications principales du mouvement amazigh au Maroc. De ce fait, elle est considérée par plusieurs chercheurs comme la véritable naissance du mouvement amazigh au Maroc.
[3] Il a des travaux de recherche qui attendent la publication comme des lexiques spéciaux et un ouvrage sur la mythologie amazighe. La fondation Tawalt lui a édité fin 2007 "ismawen n imudar", lexique des noms des animaux en amazighe.
[4] Un phénomène est né au sein de Tamaynut, section d'Agadir. Chaque adhérent a choisi un pseudo amazigh. De la, paraissaient des noms-pseudo comme Afulay, Chichongh, Amazigh, Anir, Ziri, Winaruz, Ilatig, Tuda, Tufurgh, Azalagh, yuften, Antalas... Cela reflète la volonté de se débarrasser des prénoms arabes que tous les militants portaient officiellement Ce phénomène a largement participé à familiariser quelques prénoms pour qu'il deviennent ultérieurement des noms officiels portés par les nouveaux nés.
[5] Jusqu'à la publication de cet ouvrage, l'écris en amazighe au Maroc est lié à la préservation du patrimoine orale, à la poésie, au roman et à la traduction. De ce fait, ixfawen...d isasan est considéré comme premier ouvrage qui a osé sortir de ces champs littéraires et ouvrire d'autres sujets que l'amazighe est appelée à aborder par l'écris.
Par Lahouine BOUYAAKOUBI

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